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juliabinch

Les phobies sont utiles !!


Phobie : ce mot, dérivé du Grec ancien, signifie peur, effroi. Elle se porte souvent sur des objets qui, pourtant, n’ont objectivement rien de menaçant. Il n’empêche que les phobies ont une fonction utile, que nous allons découvrir avec le psychanalyste Jean-Pierre Winter.


Une araignée délicate déambule sur la vitre de l’open space et le premier hurlement déclenche une hystérie collective. Dans une discussion, vous prononcez innocemment le mot « nombril » mais quelqu’un ne l’ entend pas de cette oreille et se contorsionne dans un rictus de possédé. Dans un resto indien, une cliente jette en hurlant un nan fromage parce qu’elle vient d’apprendre qu’il est fourré à la Vache qui rit ©…

Dans ces trois exemples de phobies, de la plus répandue à la plus « personnalisée », ce qui frappe, c’est le décalage entre l’objet et l’émotion excessive qu’il suscite.

Et pourtant, malgré les apparences, les phobies, ce n’est pas du cinéma. Donc : objet dérisoire et peur qui ne l’est pas…

Explication du psychanalyste Jean-Pierre Winter : « La phobie est une angoisse destinée à protéger d’une autre angoisse, inconnue, qui serait bien plus intolérable s’il n’y avait pas l’objet phobique pour lui faire écran. » Si la phobie est une sorte de garde-fou, on peut y réfléchir à deux fois avant de chercher à s’en débarrasser, à moins de la déplacer sur un autre objet. D’autant que, souvent, dans le cas des phobies « d’objet » en tout cas, on s’en accommode (on peut très bien vivre avec la phobie des pigeons), voire on la met en avant (comme un attribut de notre personnalité). De surcroît, sa fonction peut être très libératrice : l’angoisse étant concentrée sur l’objet en question, l’espace psychique s’en trouve déchargé (dès lors que l’objet en question est évité). Ce qui, du coup, permet beaucoup d’audace, comme le prouvent ces exemples, où la phobie des uns et des autres ne les a pas franchement entravés : les œufs pour Hitchock ; les objets ronds pour Nicolas Tesla (l’un des inventeurs les plus créatifs de la fin du XIXème et du début du XXème siècle) ; les fougères pour Freud, les microbes pour Michael Jackson et le milliardaire Howard Hughes (as de l’aviation, constructeur de génie, producteur puissant) ; les oiseaux pour David Beckham ; les cintres pour Kylie Minogue… On le voit, tant que l’objet phobique a une certaine efficacité, qu’il remplit son rôle dans le rapport à la réalité, à la jouissance et au désir, et qui plus est, ouvre des espaces de libertés, il n’y a pas de véritable problème (tant qu'elles n'envahissent pas, peu à peu, tout l'espace psychique, comme pour Michael Jackson et Howard Hughes). Par l’intermédiaire de la phobie, qu’essaie-t-on d’éviter ? On évite une certaine dimension de soi qui a à voir, indirectement, avec le désir (l’angoisse est toujours en lien avec le désir, la libido, en tant qu’énergie vitale). "Ce qu'on n'a pas, ce qu'on n'est pas, ce dont on manque, voilà l'objet du désir", disait Platon. Objet que l’on va rechercher dans notre quête de satisfaction. Le désir, c’est le moteur qui va nous conduire vers une dimension de nous-mêmes qu’on ignore. En cela, il est source d’angoisse et de fantasmes inconscients (de toute-puissance et de castration, liés à l’Œdipe, à la différence des sexes, à notre théorie infantile de la sexualité, par exemple), de culpabilité… Tout ce qu’on ne veut pas savoir de soi (tout en ne le sachant pas, puisque c’est de l’inconscient pur !), va donc être tenu à distance, via des mécanismes de défense, dont la phobie. Donc, l’objet de la phobie est un leurre, sur lequel il est inutile de s’acharner. Au mieux, il se déplacera, où il reviendra après une petite échappée. A moins que l’on tente d’écouter ce qu’il a à nous dire, de le décrypter avec la grammaire de l’inconscient, entre métaphores, métonymies, homonymies qui compose son langage. Quand l’objet phobique se construit, il est à la croisée de ces chemins et oscille de l’un à l’autre, ce qui le rend difficile à attraper. Il y a des indices, des éléments de codes du fantasme inconscient qu’il faut recomposer. Pour mieux comprendre ce qui précède, le témoignage de Fred peut nous éclairer : « Lorsque mon travail a rendu nécessaires les déplacements à l’étranger, il a fallu que je me débarrasse de ma phobie de l’avion. Les thérapies comportementales et cognitives (TTC) on marché pour un vol, puis ma phobie est revenue plus forte que jamais. J’ai commencé une analyse parce que j’étais étanche à l’idée d’avoir des enfants et que j’avais rencontré une femme pour qui c’était non négociable. Sur le divan, j’ai souvent parlé de ma phobie de l’avion qui me limitait dans mon job. Je tournais autour des associations les plus évidentes (c’est phallique, c’est une transgression en rapport avec le mythe d’Icare qui a voulu se rapprocher du Soleil et s’est brûlé les ailes, etc.)… Ma phobie résistait. Au bout de longs mois d’analyse, et alors que je parlais de tout autre chose, j’ai raconté à mon psy le mythe des cigognes en Alsace, dont je suis originaire. A ce moment là, il m’a dit : « les cigognes, c’est comme les avions, ça transporte les bébés… ». J’avais fini, totalement à mon insu mais grâce à ce qui avait bougé pendant les séances, à mettre le doigt dessus ! C’était fascinant. Je n’ai plus jamais eu peur de l’avion. Et j’ai eu envie d’avoir des enfants… ».

Pour Jean-Pierre Winter, à partir de ses associations au cours des séances, le patient a dénoué sa théorie sexuelle infantile, c’est-à-dire la façon dont il pensait qu’on faisait les bébés.

Les phobies liées à l’espace

Certaines phobies sont beaucoup plus résistantes, leur scénario étant inscrit en profondeur dans l’histoire du sujet. Elles peuvent être liées à l’espace (par exemple, l’agoraphobie et la claustrophobie), et touchent à la question des limites, des frontières entre soi et l’Autre, du corps projeté dans l’espace. C’est également le cas des phobies relationnelles ou sexuelles, celles liées aux animaux ou très fortement liées à la représentation de la mort.

Pour Jean-Pierre Winter, ce qui ne s’est pas mit en place à ce moment là, c’est quelque chose de la fonction paternelle, soit les frontières sont trop rapprochées, étouffantes (père sévère, écrasant, violent), soit elles sont introuvables (père absent, insuffisamment consistant, qui n’a pas joué son rôle de séparation symbolique entre la mère et l’enfant). La phobie va donc prend la place de la fonction paternelle défaillante, afin de donner de la consistance à ce qui n’en n’a pas.


Le témoignage de Michelle, un cas extrême puisque les nouages du fantasme sont dramatisés par un probable passage à l'acte (ce qui n'est évidemment pas toujours le cas) : "J'ai la phobie des chats. Ils m'ont longtemps inspiré une terreur sans nom. Lorsqu'on me demandait pourquoi, je racontais ce souvenir d'enfance : à l'âge de 12 ans, alors que j'étais très fiévreuse, je me suis couchée dans une sorte de délire du à la fièvre. Un chat était dans mon lit. J'en ai été épouvantée. Sauf que des années plus tard, en discutant avec mes soeurs sur la violence de mon père à notre égard (et au fait qu'il a toujours trompé notre mère sans se cacher), j'ai réalisé du même coup (le lien s'est fait comme une évidence) qu'il n'y avait pas de chat dans la maison de notre enfance. Alors, c'était quoi (ou qui !) ce "chat" dans le lit ? En analyse, ma parole, qui était bloquée jusqu'alors, s'est peu à peu libérée. Je commençais à accepter les associations qui me venaient à l'esprit. Dans le même temps, mes filles se déchiraient. La cadette entretenait une relation avec le mari de ma fille aînée. Une relation quasi incestueuse, donc. J'ai compris ce qui se transmettait de mon histoire : la violence incestueuse de mon propre père. Refoulée et reportée sur les chats, d'où ma phobie. A la suite de cette pénible révélation, et les conséquences qui se perpétuaient dans la génération suivante, les places familiales ont pu, malgré les pots cassés, être réinvesties de façon plus saine. Et lors que je souffrais de surpoids depuis l'adolescence, même mon corps a retrouvé des limites : j'ai pu enfin maigrir."


Les phobies très fréquentes : celle de l’araignée, par exemple.

« Arrêtons-nous un instant sur la phobie de l’araignée, propose le psychanalyste. Ce que l’on peut constater, lorsqu’on s’interroge sur l’objet « élu » à fonction phobique, c’est qu’il est souvent une représentation du sujet lui-même, qu’il se l’autorise ou pas ; parfois à travers celui auquel il s’identifie. Il s’agit de trouver par quel biais. » Par exemple, l’araignée, dans le fantasme, devient un substitut maternel (une artiste comme Louise Bourgeois, dont l’œuvre met en scène ses fantasmes inconscients, a d’ailleurs nommé son araignée géante « Maman ». Les grands psychanalystes d’enfants, de Winnicot à Dolto, ont, quant à eux, constaté dans leur clinique l’évidence de ce lien. )


Pourquoi les phobies, censées être subjectives, et donc individuelles, sont parfois communes à tant de monde ?

« N’oublions pas qu’il peut y avoir une hystérisation de la phobie, rappelle Jean-Pierre Winter. Certains symptômes sont un moyen de s’identifier aux autres. On forme une collectivité quand on a le même ennemi ! C’est mimétique. Mais dès lors que c’est collectif, le terme de phobie est très imprécis. On n’est plus près du tabou (ce sur quoi se fonde les règles d’une communauté). Un objet de phobie collective, c’est un tabou.


A partir de tous ces éléments, nous comprenons qu’il est inutile de trop s'acharner sur l’objet de la phobie lui-même (d’ailleurs, il suffit parfois de prononcer simplement le nom de l’objet pour déclencher la terreur, donc on voit bien que c’est une histoire de représentation), mais plutôt tenter de recomposer, à travers lui, à quels fantasmes inconscients il est noué.

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